L’Astrance en un livre : le meilleur livre de cuisine de l’année 2012

Cette année, le Père Noël est passé très tôt pour moi, en m’apportant ce livre dont je rêvais depuis sept ans. Le plus délicieux des ouvrages culinaires de cette année -et peut être depuis plus longtemps encore.

Depuis le jour où j’ai croqué ce gâteau de champignons au foie gras, avec son équilibre fantastique de croquant, de moelleux et d’acidité, qui me servit en fait de merveilleux cadeau d’anniversaire (mais quel cadeau tu me faisais là Bricolboy, je ne sais pas si tu mesures à quel point cela a marqué mon palais ...) je rêvais de pouvoir rentrer dans la cuisine et la tête de Pascal Barbot. Son apparente simplicité qui cache un feu d’artifice de saveur et cette impression incroyable de n’avoir jamais goûté certains aliments avant qu’il ne les aient préparés. À la question « mais à quand un livre ? » qu’on lui posait parfois à la fin d’une interview -homme rare et discret, il a toujours l’élégance de vous répondre directement, mêlant douceur et force en une inflexion de phrase- il disait toujours « un jour, un jour… »

Aussi, quand j’ai lu que Chihiro Masui s’était attelée à cette tâche, j’étais plus qu’au taquet, limite starting-block-waiting-list. La magie des réseaux sociaux m’a permis d’entrapercevoir des micros-bouts du travail effectué, qui semblait titanesque. Et quelle ne fut pas ma déception de voir que le livre ne sortirait pas pour Noël 2011… mais pour 2012, puisqu’il sortait simultanément en anglais.

Alors, quand j’ouvris enfin mercredi soir le lourd paquet, je frémissais d’impatience et de curiosité. Deux livres réunis en un coffret : un gros livre, et un petit fascicule façon pas-à-pas en photo.

Les petits devant, allez, pour une fois : une merveille de pas-à-pas bourré de petites astuces géniales. Comme penser à soulever à l’aide d’un couteau ou d’une spatule la partie fine d’un poisson ou d’une volaille cuite à la poêle pour éviter la surcuisson. Tellement évident que je ne l’avais jamais vu faire. Et il y en a une dizaine d’autres du même acabit à utiliser rapido fissa en cuisine, même pour la cuisine de tous les jours : je ne tue pas le suspense… Que les afficionados s’émoustillent, il y a bien la recette du terribilissime beurre de brioche.
Le tout émaillé de perles poétiques : c’est je crois le seul livre au monde où on lira un enthousiaste « le poisson est content car on s’occupe de lui ! On le réhydrate !« , ou un si vrai « l’instinct de la bonne cuisson (du poisson à la poêle) est acquis au bout de trois à six mois de pratique quotidienne« . Tout y est simple et sincère.

Quand au corps du livre… en le lisant on entend distinctement la voix de chacun des protagonistes. Rien n’est oublié : la salle, la cuisine, la table. Le responsable, le cuisinier, le convive. Christophe Robat, Pascal Barbot, Chihiro Masui. Chacun a voix au chapitre, et en effet, on saisit tous les paramètres qui font l’alchimie du lieu. Ce qui se passe en amont du repas -j’ai failli écrire « de la représentation »-, ce qui se passe après, les jours où le restaurant est fermé, pourquoi il est important de respecter la parité dans la brigade… C’est à la fois très intime et très chaleureux. C’est la plus belle réponse que j’ai pu lire à l’une de mes questions favorites : « s’il te plaît, dessine-moi un restaurant« .

Quand aux recettes… et bien c’est merveilleux, il y a dix mille fois plus que cela. La genèse du plat, son évolution, de quel voyage il est issu, de  quelle rencontre… une extraordinaire pièce de théâtre qui se joue autour de l’assiette. D’abord, l’esprit de la recette, ensuite, la lettre ! Et ces histoires merveilleuses autour de l’évolution d’une saveur, de la découverte d’un paramètre qui change le goût… Boeuf-capucine-huître, pigeon-chou-griotte (qui m’a aidé à comprendre la cuisine française), cochon-coque-trévise (qui aborde l’Italie par un côté inattendu)… n’en jetez plus, j’en ai déjà dévoré la moitié, et je sens qu’il va falloir le relire une bonne dizaine de fois pour en presser tout le suc : l’intimité de la construction d’un plat, qui le montre dans son mouvement, et non froid et figé. Les très belles photos de Richard Haughton y contribuent grandement, bien sûr : au lieu d’être devant des natures mortes des plats (quel horrible mot, n’est-ce pas), on est bien plus proche d’une sculpture, et d’une sculpture baroque. Vous savez, celles dont il faut faire le tour pour les comprendre, et dont à la fin vous avez l’impression qu’elles vont bouger…

Pouvant parler à la fois aux professionnels et aux amateurs, éblouissant de couleur, de saveurs (ah ! la photo de la page consacrée aux poivrons, dont certaines viennent d’Amazonie…), de magie, cet ouvrage est avant tout empreint d’une modestie délicieuse qui caractérise l’esprit Astrance.
On vient pour se faire plaisir, pas pour se montrer, on vient pour vivre une expérience, participer à la cuisine sans cesse mouvante et vibrante de Pascal qui prend un plat, le modifie, le fait évoluer, puis y revient…
Tout plein de phrases m’ont fait sourire et m’ont vraiment émue.
Méditons juste celle-là pour conclure, qui devrait être affichée à l’entrée de tous les restaurants : « Je suis un apprenti cuisinier ! Je ne sais pas encore cuisiner ! Il faut que j’apprenne ! Plein de choses ! » .

L’Astrance, livre de cuisineaux Éditions du Chêne

 

 

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