Le colombier de la Pentecôte, c’est aujourd’hui… même à Paris
S’il y avait eu un 48 en circulation devant la Mairie du XIXème, je n’aurai jamais pu vous faire découvrir ce gâteau oublié. A quoi tiennent les grandes découvertes ? C’est parce que je descendais l’avenue Laumière, un enfant sur les épaules et un sac de piscine au bras, à la recherche de la station de métro, que je suis passée devant une pâtisserie qui ne payait pas de mine. C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’empêcher d’y jeter toujours un oeil, scrutant l’état des viennoiseries, guettant l’horrible film plastique asphyxiant les financiers et essayant de débusquer la spécialité de la maison (souvent, ce n’est pas celle qui est affichée).
Bref, je vis dans la vitrine un petit panneau vieillot (du vintage tellement vintage qu’on voyait qu’il était vrai), indiquant « colombier de la Pentecôte » devant des gâteaux ovales, joliment glacés et ornés d’une colombe de pâte d’amande. Colombier… colombier… d’un coup, il me sembla avoir mangé ce gâteau dans mon enfance, et l’avoir complétement oublié.
Bien sûr, il me le fallait -c’est moins cher qu’une paire de chaussures, comme coup de foudre, mais c’est plus calorique- un petit modèle s’il vous plaît madame, mais c’est étrange ce gâteau me fait penser à la Provence, ah mais non du tout c’est parisien et on est les derniers à le faire, que voulez-vous ça s’est perdu ! Donc, après discussion avec la patronne (Sylvie, pour les intimes) et lecture assidue du petit rouleau explicatif remis avec le gâteau, je vous résume la « légende » du colombier à la parisienne… C’est Sainte Geneviève, patronne de Paris, qui est appelée à la rescousse : après avoir harangué la foule des Lutéciens pour les inciter à résister à l’envahisseur Attila, la bergère de Nanterre vit se poser une colombe sur son épaule. Attila fut repoussé, Geneviève avait vu juste, et les pâtissiers (au Vème siècle, c’étaient d’ailleurs des boulangers) s’empressèrent de faire des oublies en forme de colombe (qui ne pense pas alors à la colomba pasquale italienne, einh ?). Je ne vous refais pas le speech sur la colombe-qui-symbolise-l-esprit-saint, vous connaissez votre cathé.
A la dégustation, ma foi, une sorte de génoise avec un minuscule mirepoix de fruits confits jaunes (melon, abricot), et une crème au beurre vraiment tradi, avec un léger punchage autour de la crème -on sent que le biscuit a été rapidement imbibé après avoir été coupé en deux. Le glaçage citronné tire bien son épingle du jeu, il craque sous le couteau… ah zut, c’était la colombe en plastique, qui fut épargnée de justesse. On la garde précieusement, ça nous changera des fèves de l’épiphanie. Au goût ? C’est plutôt bon, mais bien loin des standards de nos palais éduqués à coup de Hermé-Genin-Conticini. C’est merveilleux de goûter un morceau d’histoire en mesurant le chemin parcouru. C’est même sacrément intéressant d’avoir d’un coup un gâteau carrément démodé devant soi et de se demander en quelle mesure la construction mentale d’un plaisir n’anticipe pas sur sa réalisation (mais je m’égare).
Après un coup de fil marseillais, j’eus bien confirmation, et même en image, que le colombier, s’il n’était pas bien vaillant, se trouvait encore dans quelques pâtisseries marseillaises.
Même forme ovale, même type d’arômes (abricot et melon confit, amandes), mais ici du sucre coloré et surtout, une sorte de génoise moelleuse, et nada crème au beurre. Et il symboliserait, au départ, « l’union de la Grèce et de Marseille » (Gyptis et Protis, tout ça tout ça).
On en trouve, me dit-on (merci Maman, pour une fois ce n’est pas pour une mauvaise conjugaison de subjonctif ou un énième problème de futur vs conditionnel que tu vas apparaître ici, ne dis rien, je sais que tu me lis…) à la Pâtisserie Praline à Marseille, qui est toute aussi vieillotte que celle où j’ai trouvé cela à Paris, et où l’on y déniche un paquet de merveilles (ahhh leurs mantecados ! et leur mouna qui berça mon enfance…).
Alors, qui du colombier marseillais ou parisien disait vrai ?
Un peu d’ethnologie pâtissière à deux balles, une consultation rapide de ma bible pâtissière de l’incroyable Maguelonne Toussaint-Samat (vous ai-je déjà dit qu’elle était l’une de mes idoles ?), et voici mes conclusions…
On reconnaît bien ici la forme ovale de la mandorle, la perfection médiévale, mais aussi celle de l’oeuf, qui contient tout. Après la galette des rois, les crêpes de la Chandeleur, les beignets de mi-Carême, les oeufs de Pâques, le colombier serait en quelque sorte l’ultime manifestation de la créativité pâtissière liée à la religion chrétienne.
A priori, et selon cette source, le colombier serait apparu courant XIXème siècle, et aurait servi de gâteau de fiançailles. La colombe est alors l’équivalent du trèfle à quatre feuilles pour celui qui la trouve : un porte-bonheur. D’ailleurs, la petite fiche d’explication parisienne stipule que « qui la colombe aura, dans l’année se mariera »… version moderne de la mention traditionnelle (qui a disparu sur les deux versions) » qui la colombe trouvera, joie et bonheur aura ». Crème au beurre et glaçage sucré plaident en effet pour l’histoire ! La version marseillaise est brevetée en 1904, et sa fabrication sans crème utilise plutôt tous les ingrédients du calisson. Clairement tous deux dérivées de la même base historique, les deux colombiers se sont ensuite crées des justifications historiques…pour (ré)inventer une tradition !
Si vous n’habitez pas Marseille, si demain matin vous ne poussez pas jusqu’aux Buttes Chaumont pour satisfaire votre curiosité, vous pouvez toujours réaliser un colombier maison, en suivant la recette parfaite (comme d’habitude) de Marie-Claire, ou bien celle qui m’a l’air plus…consistante de Marmiton.
Mais bon sang, je n’ai pas de moule à colombier dans ma collection !
Pâtisserie A la Vieille France
5 avenue Laumière
75019 Paris
Pâtisserie Praline
167 rue de Rome
13006 Marseille
PS : Pour le concours Larousse : publication des résultats d’ici la fin de la semaine, stay tuned !