Aller simple pour le paradis de Kaori (Endo)

Il n’y avait pas eu de billet sur un restaurant ici depuis une grosse éternité. Une sombre histoire autour de ce billet m’avait sérieusement refroidie : je ne savais pas où je mettais les pieds à l’époque et je n’aime pas recevoir des mails insultants (certains masos doivent s’en repaître, j’aime autant m’en passer, ma journée commence mieux et mon teint reste plus frais, c’est prouvé).

Alors pendant des années je me suis privée d’exercer ce sport si (mé)prisé de critique, me souvenant d’un tonitruant « les hommes sont critiques gastronomiques, madame,  et les femmes sont journalistes culinaires » que je n’ai toujours pas digéré. Et que l’ouverture (presque) en bas de chez nous d’un lieu rare et délicieux m’incite à faire disparaître cette réserve de manquedelegitimité. Car après tout, j’y vais, je paye, je me fonds dans le décor, et je fais travailler mes yeux et mes papilles. So what ? Et que les grincheux grincent…

Hier midi, la salle du 31 rue de Paradis (car le restaurant pour le moment n’a pas vraiment de nom, à part un énigmatique « Le 287 » sur le ticket de caisse) bruissait de jeunes gens de la hype (lunettes à montures trop grosses visant à prouver qu’on est beau en dessous, zadigués voltairisés mais pas trop, petite percée de la moustache pour les garçons) et de critiques gastros incognitos (iphones en folie, dégustation d’un maximum de plats sur la table, discrétion totale pourtant pour un oeil non exercé). Tous là pour se régaler d’une ouverture qui n’a l’air de rien, une cantine au sol en bois brut, aux chaises arty, aux détails discrètement nipponisants (masking tape dès l’entrée ou pour annoncer le menu du jour), mais qui cache des trésors de cuisine légère, inventive et féminine. Car c’est Kaori Endo que l’on retrouve aux manettes, oui, celle de Rose Bakery (et je ne veux pas entendre « l’ex-femme de… » car après tout, c’est bien par son talent culinaire qu’elle nous régale, et non par sa vie privée), capable de nous faire aimer les betteraves, le tofu, les graines germées et autres légèretés végétariennes, à emporter ou sur place.
Elle est aussi l’auteure du délicieux Une japonaise à Paris et vient de sortir Japon : Cuisine intime et gourmande (que j’ai moins apprécié, plus classique).

La preuve en images ?

Au rayon grignotages légers qui vont glisser tout seul…
onigiri-pizzetta

Des onigiris (je ne me lasse pas de dire oniguili, oniguili, c’est comme faire des chatouilles à un bébé…) : sans umé à l’intérieur, mais avec un furikake au shiso rouge, entourés d’une feuille de shiso, nickel chrome (2 e à emporter, 3 sur place)
Une pizza briochée (4 euros sur place), qui tient plus du gâteau que de la pizze marseillaise, qui n’est pas sans rappeler les fameuses pizzettes de chez Rose B., mais une pâte bien différente, un régal qui se déguste et ooooh-j’ai-tout-mangé-sans-men-rendre-compte-il-t-en-reste-pas-chéri !

Chirashi Saumon

Pour les plats, la « spécialité de la maison », un fantastique chirashi saumon (17 euros).

Saumon fondant et pas trop gras, nori ciselé comme j’aime, abondant nid douillet d’épinards crus, garniture de riz ultra-moelleuse émaillée de délicieux germes de haricots mungo, parsemée de pignons et d’une inventive julienne de radis (noir et rose), qui apporte la touche fraîche et piquante de l’absent wasabi.

J’émets le souhait d’en manger tous les jours pendant quelques semaines (en alternance avec un cheesecake au chocolat blanc de chez Supernature, ce sera un bon régime).Ca doit être l’effet du masking tape sur mes hormones, ou juste le fait que c’est frais, bon, juste et sans prétention. Une bouffée d’air frais !

bento kaori endoSinon on vous propose aussi un équilibré concept de bentôs (en fait, 2 petits plats type plats à gratin) qui change tous les jours.  L’un contient les 2 salades du jour (ici brocolis-okara et fenouil-jesaisplusmaistresbon), l’autre le féculent (en l’occurrence coquillettes complètes+pois chiches, que Bricolboy me réclama de refaire à la maison) recouvert de protéines (ici, onglet de veau recouvert d’une sorte de panure-chapelure délicieuse, type zeste de citron-parmesan). Mais on aurait pu aussi craquer pour du tofu teriyaki, ou du lieu jaune. Le bento complet vous est facturé 13 euros, ce qui ma foi par les temps qui courent à Paris reste largement honnête (j’entends la province s’étrangler, pardon).

Un dessert ?

Hum, ce n’était pas raisonnable, mais il fallut bien se sacrifier…
Cake matcha-thé vert-framboises, j’eus du mal à en grappiller une bouchée, un signe qui ne trompe pas. Pas trop gras, bien matchaté, mais certainement plus adapté à l’heure du brunch ou du petit déj. Intuition divine, la tarte café liégeois qui m’avait tapé de l’oeil dans la vitrine de la vente à emporter.

Tarte café liégeois de Kaori EndoPar erreur une part de tarte banane-noix de pécan se posant par erreur sur la table faillit me faire hésiter, mais ne vous fiez pas à ses faux airs de tarte de rien du tout dans son assiette toute simple. De la même façon qu’on ne peut pas deviner les dessous d’une femme aux vêtements qu’elle porte (et que l’on a souvent des surprises, enfin, j’imagine…), cette tarte à surprise est bien haut dans le top 5 des meilleurs desserts que j’ai pu goûter cette année (et c’est une fille qui a mangé 24 bûches différentes en moins de deux mois qui vous le dit).

Une pâte sablée un peu épaisse, une couche de je-ne-sais-quoi évoquant le toffee, le caramel laitier, recouvert d’une mousse très café grillé. Mais cette mousse ! On eût dit l’écume d’un cappuccino à peine figé, pas trop de gélatine, une sorte de merveille de chantilly au café à peine tenu par de la (gélatine ? agar-agar?) sans aucun effet béton, soyeux comme tout…
Ma théorie sur les desserts au café : ce sont les desserts les plus difficiles à réussir, et à faire apprécier… de ceux qui n’aiment pas le goût du sucre dans le café. Je déteste par dessus tout le goût du café sucré, et ce dessert réussit le tour de force d’allier moelleux, force et douceur.
Chapeau bas (ET JE VEUX LA RECETTE) !!

A 5,5 euros pièce,  je sens que je vais revenir prendre le thé moi…

Autrement dit : bon, bio, équilibré, sans cabillaud, toi le bobo, tu vas adorer (et tu as bien raison, parce que … c’est vraiment bon, honnête, bien troussé).

Il y a fort à parier que d’ici trois semaines, ce sera aussi comble que Rose Bakery, car c’est largement aussi savoureux, bien plus léger, le souffle japonais en plus, et surtout, infiniment plus accueillant et souriant.

Seul petit regret : la centrifugeuse pas encore livrée, qui me priva du plaisir de savourer un Apple Betty (pomme, poire, cranberries). Mais je ne m’inquiète pas, je reviendrai forcément souvent là-bas. Il y a même de la place pour y mettre une poussette…

Le 31 rue de Paradis autrefois annoncé sous le nom « Phantom of Paradise »…
75010 Paris
Métro Poissonnière
Pas encore de téléphone

PS : à toutes fins utiles, je vous signale que je serai ce samedi de 15h à 17h à la Librairie Gourmande pour dédicacer « Les Criminels passent à table« , en compagnie d’Anne Martinetti, Patrick Rambourg et Fabienne Gambrella dans le cadre des Journées du Livre Européen. N’hésitez pas à passer nous saluer (…et à préparer vos cadeaux de Noël, si j’en crois les catalogues qui commencent à arriver nombreux dans la boîte aux lettres !). Et si quelqu’un a la recette de la magical tarte au café, einh…

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