Le kiff du mois de janvier – risotto de petit épeautre du Pays de Sault à la truffe noire de chez Taillevent

Mon métier encourage les tendances schizophréniques. Moitié du temps dans ma cuisine, tablier, cheveux attachés, farine sur les mains et le clavier. L’autre moitié à déguster, à découvrir, en essayant d’être à peu près coiffée et maquillée, à essayer de comprendre ce qu’est la cuisine d’aujourd’hui. La troisième moitié (je dors peu), à être derrière mon écran attachée à Word pour écrire tout ça et concilier l’ensemble en gagnant ma vie.

Ce serait mentir que d’écrire qu’en huit ans de blog, je n’ai pas évolué. J’aime la street food. J’aime les grandes maisons mythiques. J’aime la cuisine française. J’aime les cuisines du monde. J’aime tout, du moment que c’est bien fait et sincère. Peu m’importe les falbalas ou de sentir l’âme du cuisinier dans mon assiette. Je veux juste que ce soit… vraiment là, pas forcément calculé au millimètre, pas forcément parfait, mais avant tout bon à manger, bon pour le corps et pour l’âme.

J’ai passé trop souvent sous silence ici des merveilles dégustées dans de grands restaurants, de peur de me faire jeter des tomates virtuelles sur le thème « journalistes invités, journalistes pourris ». Et dieu sait que les tomates d’hiver peuvent être dures comme du bois !

Alors, tant pis. Est-ce que le plus important, ce n’est pas de partager ce que l’on a trouvé vraiment bon ? Ce qui nous a enthousiasmé ? De mettre un peu dans la lumière le talent ?

En triant mes photos,tous les mois de 2012, je me suis dit : « carabistouille, ça, j’aurai dû en parler. Qu’est-ce que c’était bon !« . Alors, désormais, chaque fin de mois, je choisirai dans ce que j’aurai dégusté un plat, un dessert, que sais-je. Au fil de l’eau. Des photos. Des coups de coeur.

 

 

Ce risotto de petit épeautre, c’est le plat signature d’Alain Solivérès, le très discret et très doué chef de la maison Taillevent, rencontré pour un article de l’Avis du Vin.
Maison mythique, née en 1946, un peu oubliée par les gens de ma génération culinaire, un peu désuète pourrait-on croire. Chariots argentés, découpes en salle du canard ou de la sole par les maîtres d’hôtel, on est propulsé dans un univers en voie de disparition, sans que cela sente la poussière. La perfection de la cuisine traditionnelle française, mais dieu merci sans ses chichis, dorures, champignons cannelés et ridicules fleufleurs de carotte (ne riez pas, j’en ai encore vu). La tradition, certes, à la perfection, mais épurée et bien droite, façon jardin à la française. Un élégant costume trois pièces, mais coupé à la perfection.

Quand j’ai préparé et écrit mon livre sur le petit épeautre, j’avais bien évidemment rêvé devant ce plat, qui réunissait deux de mes grandes passions culinaires…Pouvoir enfin le goûter impliquait surtout… de ne pas être déçue. L’horizon d’attente que l’on a d’un plat nous amène parfois à de grandes déceptions. Mieux vaudrait souvent se laisser surprendre…

Mais ouf, la magie a bien opéré. Petit épeautre cuit à la perfection, entouré de crème moelleuse sans être écoeurante, une symphonie de moelleux et de croquant, sublimé par le craquant magique de la truffe noire qui ne cache pas le goût noiseté du petit épeautre. Ils se soutiennent l’un l’autre, dans une amplification bien meilleure qu’un simple risotto à la truffe noire.

Et mieux encore, pour l’accord avec le vin, nous avions le choix… puisque c’est la belle marque de fabrique de la maison. Meursault « Les Tillets » 2005 ou Phélan Ségur 2003, le choix était cornélien, et l’expérience passionnante de savourer un blanc de Loire et un grand Saint-Estèphe sur ce plat. Perso, j’ai voté Saint-Estèphe, avec en bonus les explications passionnantes de Pierre Bérot -le « monsieur vin » de la maison. En deux mots, vous êtes au milieu du vignoble, vous voyez le soleil, les détails de la vigne, toute l’importance du travail des vignerons et de la maturation en cave… Pas langue de bois pour deux sous, toujours dans le partage et dans l’amour du travail bien fait, il sait vous emmener dans l’univers du vin sans prétention, en toute pédagogie.

Ça valait donc vraiment le coup de l’attendre, ce plat, pour l’apprécier mille fois plus.

Taillevent
15 rue Lamennais
75008 Paris

Le risotto de petit épeautre se décline selon les saisons et reste présent à la carte. À la truffe, il est proposé dans le cadre du menu dégustation spécial truffes, à déguster jusqu’à mi-mars, au prix de 340 euros (le menu) qui comporte bien d’autres délices à la truffe…dont un mythique chausson à la truffe entière. Mais ceci est encore une autre histoire.

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