La cuisine végétarienne est une cuisine comme les autres

Quand on travaille dans la gastronomie et que l’on a fait voeu de découvrir toutes les cuisines -oui, c’est le plus beau métier du monde- il est difficile de confesser avoir un fort intérêt pour la cuisine végétarienne. Une sérieuse inclination, même, au point d’avoir le plaisir de travailler avec les éditions La Plage depuis 2011, d’avoir été responsable d’ouvrages de cuisine végétarienne du monde (sur le Royaume-Uni, le Viêt Nam, l’Espagne…)  et d’avoir consacré un an de ma vie à concevoir, produire et écrire un ouvrage entièrement dédié à cette cuisine passionnante, L’Encyclopedie de la cuisine végétarienne à paraître très bientôt chez Flammarion-tous les détails au prochain billet.

Mark Bittmann, le critique du New York Times, est l’un des rares professionnels de mon métier à avouer être végétalien dans la journée, omnivore social le soir. Je suis le même chemin, et il me serait très difficile de faire mon métier correctement si je ne devais tester que des préparations végés. Et je ne m’en cache pas : rien de ce qui se mange ne m’est étranger. Pour mon plus grand plaisir.

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Je prête évidemment une très grande attention aux légumes, à la composition des plats, et à la présence ou non d’options végétariennes à la carte, et je suis très heureuse de mettre un restaurant végé à l’honneur. Mais si la spécialité du restaurant est un ris de veau ou du poisson, je fais mon travail, fourchette à la main, carnet de l’autre, dans la joie et la bonne humeur. Car le métier de critique consiste avant tout à voir si c’est bien fait, de quelle façon, dans quelle intention, à quel prix. Et à la maison, je suis la plupart du temps une végé très heureuse : les repas sont végés, et si quelqu’un souhaite ajouter de la viande, il le fait. On est une famille mixte, et tout va bien, merci.

Car la cuisine végétarienne est avant tout une façon de voir différemment la cuisine. Une fois ôté l’umami de la viande et du poisson, le goût reste à reconstruire. Vous pouvez persister à le voir comme un manque, un trou béant dans votre assiette et décrier les steacks de soja et autres blanquette de seitan.
Ou bien vous pouvez le voir comme une merveilleuse opportunité de tout rebâtir : quand on enlève un pilier à une maison, ne faut-il pas toute la repenser pour qu’elle conserve son équilibre ? Quel plaisir pour un cuisinier que de devoir se pencher de plus près sur tout l’univers végétal, largement sous-exploité depuis des siècles ? D’y apercevoir plein de nouvelles possibilités créatives qui, sans singer la viande, peuvent permettre d’inventer de nouvelles choses -au hasard, transformer le liquide de cuisson des légumineuses en mousse, incroyable aquafaba qui bouleverse bien des repères… Je suis persuadée que l’avenir de la cuisine gastronomique sera végétarien.

À ceux qui me disent que la cuisine végétalienne n’est pas bonne, qu’elle n’a pas de goût,  je leur demande s’ils ont déjà mangé un falafel. À coup sûr, oui : et que c’est bon, cette croquette de pois chiches nappée de tahini, agrémentée de crudités croquantes, le tout enroulé dans une pita tiède… La preuve qu’un grand plat peut être végétal, sans que jamais vous ne ressentiez de manque. La cuisine végétale peut tout à fait être aussi ratée que la cuisine traditionnelle, car il n’y a qu’une seule cuisine : la bonne !

Longtemps, le végétarisme avait pour seul fondement l’éthique. Désormais, en plus du questionnement moral (qu’on résumera d’un simple « faut-il tuer les animaux« ), l’urgence climatique pèse de plus en plus fortement sur nos choix alimentaires. Rappelons tout simplement que 30% des gaz à effets de serre proviennent de notre alimentation. Et qu’il est plus facile de convaincre sept personnes de manger végétarien une fois par semaine qu’une seule personne de manger végétarien à tous les repas. On peut manger végé une fois, dix fois, un repas sur deux, quand on veut, ou être végétarien tous les jours. Et quand c’est bon, ce n’est pas difficile…

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