L’onde amère du risotto à la trévise

Longtemps je n’ai pas aimé l’amertume (et Marcel Proust non plus). Loin de moi les endives de mon enfance-qui, sélection génétique oblige, n’ont plus que d’amer le souvenir-, buark le terrible Bitter San Pellegrino que je goûtais en Italie, pouark le Schweppes qui médicament à l’origine aurait dû rester médicament..

Jusqu’à ce que je vieillisse et tombe en amour fou pour la Trévise. Si si, cette chicorée rouge italienne, comme son nom l’indique, j’en ai nourri une obsession, à tel point que de passage à Rome, elle dû trouver une place dans notre valise. La touriste qui faisait une petite danse de joie devant un étal de maraîcher où l’on comptait trois ou quatre variétés différentes, cherchez pas, c’était moi. (Malgré ce changement radical, je n’aime toujours pas lire Marcel Proust)

En France, on trouve en général une Trévise ronde et pommée, ma foi pas mal. J’en fis souvent des pâtes, et notamment une recette de pâtes à la trévise et au cacao pour le livre Pasta Party qui est vraiment convaincante, les deux amertumes se mariant particulièrement bien sans trop s’amplifier. Paradoxalement elle n’a jamais à mon grand regret fait partie de ces recettes que les gens ont eu plaisir à tester : sur le papier, elle a l’air hélas trop bizarre…

Malheureusement, la Trévise à la française n’est qu’un avant-goût de toutes les variétés vendues couramment en Italie.

Je me suis donc surpris à rêver béatement devant une page de l’excellent Ma Little Italy de Laura Zavan, qui reproduisait un dépliant publicitaire italien où figuraient une dizaine de variétés de radicchio, lisses, bouclées, sages ou exhubérantes… En démêlant quelques fils botaniques, il semblerait que cette chicorée apparaisse généralement sous le nom de radicchio (la ronde pommée que l’on trouve facilement en France, sous le nom générique de Trévise), et que la Chioggia, la Vérone et la Castelfranco en soient des variétés plus latines… Qui plus est, cette belle chicorée rouge bénéficie d’une IGP.
Après enquête, il semble que ce que vous croisez chez votre maraîcher soit en fait de la Chioggia, et que celle que j’ai ramené soit de l’authentique Trévise tardive, toute allongée (comme ici). Heureusement, en cas d’urgence, vous pouvez toujours courir chez Joël Thiébault (il y a une trévise cachée sur cette vieille photo, trouvez où !).

Une fois la valise ouverte, nostalgiques des bons moments romains, l’évidence s’imposa : du riz amer, bien sûr, comme le film aux mythiques jambières noires de Silvana Mangano.

Risotto à la trévise

Risotto amer mais délicieux à la trévise
Pour 2 tristes d’avoir quitté Rome

150 g de riz vialone nano (après avoir eu une période arborio, je préfère encore celui-là, au grain plus court)
1 belle trévise
1 échalote
1 branche de céleri
1 carotte
10 cl de vin blanc
Bouillon végétal
Beurre demi-sel

Lavez, pelez et émincez finement échalote, céleri et carotte. Lavez, essorez et hachez grossièrement la trévise.
Faites fondre une noix de beurre dans une sauteuse à fond épais, faites-y blondir les légumes, ajoutez le riz.
Mélangez pour enrober de matière grasse jusqu’à ce que le riz soit transparent. Versez le vin blanc et remuez jusqu’à évaporation totale.
Ajoutez alors la trévise, mélangez. Ajoutez le bouillon bouillonnant louche à louche, en remuant sans cesse. Comptez une grosse vingtaine de minutes de cuisson, selon que vous l’aimez croquant, fondant voire collant.
Ajoutez le beurre, une lichette de crème, salez et poivrez. Couvrez.
Mélangez une ultime fois avant de porter à table, pour émulsionner l’amidon et le gras, de sorte à mantecare intimement le risotto.
Servez dans des assiettes creuses, par pitié, et s’il est réussi, votre risotto semblera onduler dans l’assiette… formant peut-être l’onde amère si chère à Keren Ann.

D’autres recettes de Trévise : en ravioli chez la délicieuse Peggy, en salade parmesanée chez Tarzile, avec des gnocchi (et en Allemand) chez Bolli’s Kitchen.

La prochaine fois, promis, je dirai 6 trucs que je suis pas censée dire. Je vous jure, je cherche.

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