Comment rendre sexy la tête de veau ? Les wontons flingueurs d’un soir au Silencio

J’adore me mettre dans des situations impossibles. Genre dire oui quand on me propose d’imaginer un menu à thème « politique » pour un before dans une boîte top fashioneuh (non mais vous m’avez vue ?). Certes, les élections en question étaient les présidentielles, j’ai un peu tardé à publier tout ça, mais en ce week-end députesque, vous allez quand même bien vous nourrir, non ?

En bonne ex-khâgneuse, j’ai chaussé mes grosses lunettes, remué le web et un bon paquet de vieux bouquins, appelé mon historienne de soeur qui m’a mis sur d’excellentes pistes, et enfin lancé des fusées de détresse sur Twitter (repris haut la main par l’excellente Cocinera Loca).  Pour le dessert, c’était trop fastoche : des cookies républicains vs des cookies démocrates, en écho à cette histoire croustillante. Le plus difficile était de trouver des pépites de butterscotch, mais ils en ont toujours à l’Epicerie Anglaise, alors….

Pour l’entrée, je suis partie à la recherche de la fameuse « Salade Potel » du mythique banquet des Maires de 1900, mais il s’avéra impossible -même à la maison-mère- de remettre la main sur la recette. Comme le repas était servi 100% froid, comme c’était la salade à la mode, et comme semblait l’indiquer la quantité hallucinante de mayo et de moutarde consommé lors de ce banquet, je me suis orientée vers une salade russe revue et corrigée sans modestie  (pas de pommes de terre, des carottes violette, des navets cuits dans l’eau des carottes pour un aspect bleuté…, sauce mayo-yaourt grec). Zim boum petite déco cocardière à base de betterave chioggia et de radis violet, et roule my chicken.

Mais après avoir ratatouillé un bon moment, j’en arrivai à cette conclusion inéluctable : on ne peut pas parler de politique et de cuisine en France sans parler de tête de veau. Certes, ma génération pense illico « tête de veau=Jacques Chirac« . Mais en remontant, on trouve la tête de veau… au menu des anti-royalistes qui la mettent au menu tous les 21 janvier (initialement, c’était une tête de porc, mais passons). Et on la croise aussi dans nombre de banquets républicains qui précédèrent l’avénement de la Troisième République. Donc, LE plat. Que je me voyais mal cuisiner  en nombre -ah ouais cinquante couverts quand même…, moi qui n’en avais jamais fait cuire une seule. J’en avais mangé parfois au restaurant, sans être ultra-fan. Et surtout, j’imaginais trop la tête des convives : « tête de veau ? whhhaaaaat ???? no, thanks !« . Il me fallait trouver une façon de la relooker, et surtout, de la rendre consommable sans méfiance, sans idée préconçue. Et le tout, sans trahir ses saveurs qui devaient toutes être présentes. Deconstructing la tête de veau, rien que ça (le premier qui me parle de la saucisse de tête de veau d’Alléno gagne un aller-retour sur Mars, merci).

Ca tournicoti, ça tournicota… et l’évidence apparut sous la forme d’un ravioli chinois. Le croustillant, tout le monde aime ça, et la tête de veau brille par son moelleux et son gélatineux. Pour me simplifier quand même la tâche, je suis juste partie sur la langue de veau, qui me semblait la plus apte à la farce sans ajouts majeurs.

Avec mon petit panier, j’allais acheter ma première langue de veau -un grand moment dans la vie d’une cuisinière, que je ne suis pas prête d’oublier. Surtout la tête de l’enfant quand il vit la chose bouillonner. Parce que diantre, c’est costaud une langue de veau, et bien… reconnaissable. Quitte à ne pas être végétarien, autant avoir parfaitement conscience de ce que l’on est en train de manger, et respecter le travail de tous ceux qui nous l’ont apporté. Sentir la peau, les nerfs, peler la peau de la langue, observer les canaux, les différences de texture : ce n’est pas dégoûtant, c’est biologique, c’était vivant, et noble, et cela doit donner du bon et du plaisir au final, sinon ce pauvre animal sera mort pour rien. Et quand on respecte la viande, forcément, on préfère en manger moins, mais en manger mieux… et se contenter avec délices de pois chiches et plats végétariens les autres jours. C’est donc pour moi très logique de passer de l’un à l’autre !

Pimprenelle

 

La première expérience fut assez concluante,mais la langue pas assez cuite à mon goût, avec un arrière-goût qui me gênait. Enigme levée par la divine Gracianne qui me fila évidemment le tuyau de la blanchir à l’eau bien vinaigrée une bonne demi-heure. Quelle bonne idée ! Ca change tout (et merci, merci, mon amie).

Ensuite la farce va de soi : langue pelée, carottes du bouillon pour le moelleux, gingembre (seule entorse à la tradition) et beaucoup, beaucoup d’herbes. Et des bonnes, shoppées chez Joël Thiébault (en slalomant entre les militants UMP qui tractaient ce jour-là) : estragon, persil, estragon mexicain et surtout pimprenelle, herbe culte au XIXème siècle au « goût de gazon » comme la décrivit parfaitement notre fils aîné, que l’on retrouve aussi dans la fausse ravigote servie avec les wontons.

 

 

De l’expérience, on en tirera les statistiques suivantes :
– 33 : le nombre de feuillets à raviolis contenus dans un paquet,
– 50 : le nombre de wontons que je suis arrivée à façonner à l’heure (je vais reprendre l’entraînement, pour frôler les 65…)
– 95 : les battements de mon coeur tout l’après-midi passé en cuisine à façonner, vérifier, se brûler, monter des litres de mayo…
– 2 : le nombre de cuisiniers-assistants usés en 2 après-midi
– 100% : le nombre de personnes qui croquèrent sans identifier le ravioli… et l’apprécièrent (signe qui ne trompe pas : ils en ont redemandé).
– 0 : le nombre de photos finales de ce qui fut servi. J’avais les doigts poisseux dans la cuisine… et après il faisait sacrément trop sombre (moins on y voit, plus c’est classe). M’enfin vous avez déjà vu des raviolis chinois donc…
– 3 : le nombre de cocktails délicieux que je bus en racontant à peu près tout ça aux invités, perchée sur mes talons préférés. Je me souviens d’un incroyable bloody mary teinté de saveurs japonaises et d’un terrible cocktail avec du gingembre et du rhum noir. Le reste ne regarde que nous.

Les raviolis présidentiels à la langue de veau bons comme tout
Pour une cinquantaine de pièces
2 paquets de feuilles à wonton (vous n’utiliserez pas tout, congelez le reste)
Pour la farce
1 langue de veau
4 carottes
1 oignon piqué de girofle
Bouquet garni
Vinaigre de vin blanc
1 c. à soupe de gingembre râpé
Environ 400 g d’herbes fraîches : persil, estragon, pimprenelle, une pointe d’oseille…
Pour la sauce ravigote
2 oeufs
30 cl d’huile d’olive
300 g d’herbes fraîches : variez en fonction de ce que vous avez mis dans la farce, et allez y franco sur le cerfeuil
3 c. à soupe de moutarde
Sel fin, poivre du moulin

Pour la cuisson de la langue de veau
Faites cuire 30 mn dans une grande cocotte d’eau salée et bien vinaigrée la langue de veau.
Retirez l’eau, et recommencez la cuisson pour 1h30 à 2h en ajoutant un bouquet garni, l’oignon piqué de girofle, les carottes pelées en rondelles, du gros sel.
Retirez-la du court bouillon, pelez la langue et coupez-la en gros morceaux.
Pour la farce
Hachez au robot la viande, les herbes, les carottes cuites, l’oignon sans le girofle, le gingembre. Assaisonnez au goût.

 


Pour le pliage des raviolis
Posez un carré de pâte sur une planche à découper. A l’aide d’un pinceau enduisez les bords d’eau. Déposez une belle noix de farce au milieu. Et regardez une petite vidéo pour bien me plier tout ça please. Puis faites-moi frire tout ça 4 à 5 min.

Pour la sauce
Lavez, séchez et hachez finement les herbes.
Transformez par la magie de l’eau bouillante les oeufs en oeufs durs. Ecalez-les.
Ecrasez-les grossièrement avec la moutarde, émulsionnez la sauce avec l’huile en filet.
Ajoutez les herbes, assaisonnez. Servez avec les wontons.

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