Dans la sphère de Thierry Marx – une poire Belle-Hélène moléculaire
S’il y a des billes dans les citrons, il y en a aussi en ce moment au Laboratoire à Paris.
Installation ? Expo ? Expérience gustative ? Moi, ce qui m’intéressait, c’était de découvrir les bentos expérimentaux de Thierry Marx.
Cette exposition est l’histoire d’une convergence et d’une recherche commune entre Jérôme Bibette -fondateur et le directeur du Laboratoire Colloïdes et Matériaux Divisés à l’Ecole Supérieure de Physique et Chimie Industrielles de la ville de Paris (ESPCI)-, Thierry Marx, chef du Château Cordeillan-Bages, et des élèves- designers de l’ENSCI. Tout ce petit monde a travaillé de concert pour produire des perles de saveurs, dont la peau est une membrane souple de quelques millièmes de millimètres, présentées dans un écrin adhoc -le fameux bentô qui m’obsède.
Conviée l’après-midi de l’ouverture, j’ai pu observer l’objet tout à mon aise, puis le déguster en méditant sur les rapports entre la cuisine et l’art… et constater avec effroi que j’avais oublié la batterie de mon appareil photo (ce qui fait que ce billet perd de son charme, certes, mais tant pis).
L’objet « bento » de l’exposition, réalisé par Mathieu Bassée et Christophe Dubois, s’éloigne du bento traditionnel (saviez-vous que les premiers servaient aux moines pour trier le riz ?), qui est avant tout une boîte cloisonnée et fermée. Il s’agit plutôt ici de plateaux-repas melaminés, empilés dans une structure de bois tout léger, avec un couvercle assez drôle (exposé à la lumière, celui-ci reproduit une phrase-clé du maestro Marx).
Astuce designesque respectant l’art culinaire, si dans son ensemble le bento semble composé de strates colorées joliment acidulées, il apparaît qu’en fait pris isolément les plateaux restent parfaitement blancs, respectant le travail du chef dans l’assiette afin de le mettre en valeur tel un écrin. Eh oui, seul l’arrière des plateaux est coloré : et c’est son reflet projeté qui donne cette impression de couleur à l’ensemble du bento… Intéressant également de voir les jeux entre le côté compact de ce bento (qui fait indéniablement penser à un plateau d’avion new look) et la profondeur de chaque plateau pris isolément.
Difficile alors de mastiquer entourée de journalistes d’arts contemporains qui vous regardent décortiquer votre assiette d’un air étonné puisque eux regardent plutôt les murs, l’installation et parlent de tas de gens figurant dans Beaux-Arts Magazine (hélas, je ne le lis pas assez, il manque un peu de fiches-cuisine).
Quant au contenu de l’assiette -je vous connais, c’est bien évidemment pour cela que vous êtes ici-, je n’ai goûté qu’à la poire Belle-Hélène, puisque c’était l’heure du goûter.
A défaut d’image, faites donc appel à votre imagination…
Dans mon beau bentô, à gauche, quelques lamelles de poires, fermes et fondantes, cuites à l’eau minérale. Au milieu, dans une petite barque en bambou (j’aperçus les mêmes quelques jours plus tard pour Métro, je ne fus pas dépaysée), des sphères donc, de la taille de celles que l’on trouvait au collège au fond de nos cartouches de stylo-encre : billes de jus de poire, billes de vanille, billes de chocolat. Je m’attendais à trouver sous la langue l’impression familière d’éclatement -celui de l’oeuf de saumon que j’aime tant- et les billes étant de petites tailles, l’impression fut différente.
En fait, la texture varie vraiment selon le goût, et le chef s’inquiéta aimablement de mon sourcil froncé : « Je trouve cela… huileux« .
La vanille me donnait en effet une impression réelle d’huile à la vanille, limite monoï, assez étonnante… Thierry Marx répondit à cette objection d’un gentil « ah, mais elles ont dû trop attendre : leur texture évolue avec le temps, si elles sont trop chaudes elles changent… et donnent cette impression huileuse« .
J’avais négligé l’aspect fugace et instable de ce genre de cuisine.
Mais revenons à notre poire belle-hélène, qui arrive, enfin, à droite de votre bentô : une adorable mini-poire, caparaçonnée d’une armure de chocolat noir bien craquant -qui a dit « Comme dans la pub des années 80 pour ce chocolat à pâtisser enrobé de papier kraft, tu sais, la poire qui s’enrobait toute seule de chocolat« , voui, tout à fait ça pour le côté gourmand- poire délicatement évidée, remplie à nouveau de billes, le trio infernal sus-goûté, et de copeaux de chocolat. Et alors là, fini les sourcils froncés : miam, miam, scroutch, je comprends bien mieux la décomposition/recomposition expliquée sur les murs via la parole de Thierry Marx : « Déstructurer pour reconstruire impose de ne rien accepter comme immuable« , n’en jetez plus, un petit croc suffit à comprendre !
Mon avis : pour aborder la sphérification sans trop de risque, et passer un moment intéressant, l’expérience vaut plus que le coup d’être tentée. Pour le goûter, comptez 15 euros (poire+café+eau minérale), et pour le repas complet, que je n’ai pas goûté, comptez 27 euros. Celui-ci comprend le même genre de variation autour du daïkon, ce délicieux radis-navet géant blanc, et autour du homard.
Le lieu est agréable, l’exposition plutôt proche d’une installation à la Sophie Calle. L’atmosphère visuelle signée Mathilde de l’Ecotais accompagne parfaitement la démarche : rentrer à l’intérieur de l’ADN de la matière pour mieux en jouer.
On en ressort le ventre plein, l’esprit moins bête; et la bouche pleine de points d’interrogation.
Dans la sphère de Thierry Marx
Le Laboratoire
4 rue du Bouloi
75001 Paris
Jusqu’au 21 juillet 2008
Réservations uniquement via info@lelaboratoire.org ou 01 78 09 49 50
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